Le matin du lundi nous nous promenons, nous faisons encore fabriquer quelques vêtements, puis nous louons une moto pour aller jusqu'à Mỹ Sơn où travaille F., un collègue archéologue italien de B. qui participera à sa fouille d'octobre.
C'est la première fois que je conduis une moto ici et je ne suis pas rassuré. Heureusement les motos sont semi-automatiques (elles n'ont pas d'embrayage) et c'est ça de moins à penser ! En moto je découvre qu'il ne sert à rien de chercher à anticiper trop tôt : une poule peut débouler devant moi à n'importe quel moment, ou alors une voiture qui double dans un virage, ou un vélo surchargé qu'il faut doubler malgré la rizière qui borde le chemin.
Le pire reste tout de même de tourner à gauche... particulièrement à l'arrivée sur une route nationale ! Finalement rien ne sert de s'inquiéter : il faut traverser la route comme on la traverse à pied, en étant attentif et... les autres véhicules passent autour !
Nous passons devant le plateau de tournage d'un clip ou d'un film. Ils ne peuvent pas se permettre d'arrêter la circulation ; on se demande comment va être leur prise de son.
En arrivant à Mỹ Sơn, suite à une incompréhension F. n'est pas là : il nous attend à Hoi An. Babel !
Nous attendons donc au milieu des quelques touristes japonais qui s'aventurent ici à cette heure où les températures peuvent atteindre des sommets, comme l'humidité.
Lorsque F. arrive il demande l'autorisation à l'officier de sécurité du site pour que nous puissions nous aussi monter à moto jusqu'au site. Autorisation accordée. Une fois nos motos garées, nous bénéficions d'une visite exceptionnelle. F. travaille ici depuis cinq ans et connaît parfaitement les lieux. Il nous fait visiter les chantiers en cours et nous explique l'histoire de ce site Cham, ancienne comme récente.
Le site a été particulièrement touché par la guerre contre les Américains. Même s'ils le nient les preuves que ces derniers se sont acharnés sur ce site pour le détruire sont nombreuses : trous énormes de bombes, briques des édifices recuites par les munitions explosives. Le temple dit A1, par exemple, aurait résisté aux bombardements ; il est fort probable que l'armée américaine a envoyé un hélicoptère pour attaquer à la mitrailleuse l'édifice trop résistant... La colonisation par le vide...
F. nous explique que le site tout entier est contenu dans une bassine entre les monts qui l'environnent, ce qui fait que, vu du dessus, il a l'air d'un Mandala. Il nous raconte que les Chams étaient strictement des commerçants et ne fabriquaient de la céramique que pour un usage courant. En revanche ils tiraient leurs principes d'architecture de l'Inde, dont ils ont emprunté la culture. Les temples ressemblent donc - toujours selon F. - beaucoup aux temples indiens, dans leur principe de construction.
Ils sont faits de briques et laissent apparaître très peu d'éléments en pierre, de même que peu d'inscriptions. Les briques n'étaient taillées qu'une fois assemblées, ce qui participe de la finesse des sculptures que l'on trouve sur les bâtiments.
Le site est vraiment dévasté mais ce qui en reste est splendide. Les Viets ont souhaité, pour bien faire, étayer et protéger de l'eau un des édifices les mieux conservés mais qui commençait à s'écrouler : ayant très peu étudié la structure du bâtiment et confié les travaux à des non-archéologues ils ont mal étayé et ont couvert l'endroit avec de la tôle qui a pour double inconvénient de faire chauffer la brique et d'empêcher la pluie de tomber sur le bâtiment. Or la brique utilisée se solidifie grâce à l'eau... Comme quoi même en voulant bien faire... Dorénavant personne ne veut toucher à ce bâtiment, car chacun sait qu'il s'écroulera si des travaux sont entrepris et personne ne veut avoir de problèmes avec les autorités Viets qui ne comprendraient pas.
Lorsque nous avons fini la visite nous repartons à moto. Le site est fermé au public et, sur le chemin, alors que nous nous apprêtons à redescendre, nous passons à côté du restaurant où toute l'équipe - y-compris le directeur - est en train de manger et de boire. Nous nous arrêtons et sommes invités.
F. nous présente, B. et moi, comme faisant partie de la célèbre école française avec laquelle B. travaille. Je suis un peu embêté mais bon...
Toute l'équipe nous dit qu'elle est très heureuse que nous soyons là. Un des archéologues italiens de l'équipe de F., qui n'est pas là depuis longtemps, est déjà saoul et s'étonne à chaque geste des Vietnamiens présents.
Le directeur, le responsable de la sécurité (en uniforme avec galons), divers spécialistes et employés du site viennent tour à tour près de nous, nous remplissent nos verres de bières, ajoutent des glaçons et disent presque en chantant... "trăm phần trăm" ! C'est-à-dire "cent pour cent", soit "cul-sec" en bon Français ! Nous suivons, la bière est légère.
Au bout d'un moment nous découvrons que le pneu arrière de notre moto est crevé. Nous sommes invités par F. et le directeur à dormir sur place. Soit !
Nous descendons, déjà bien gris, pour manger chez les Italiens car le petit repas ne suffit pas. Puis nous repartons vers le restaurant du bas du site pour finir la soirée à coup de trăm phần trăm... Le directeur, le chef de la sécurité, tout le monde nous a à la bonne. Nous chantons dans diverses langues, le directeur joue de la guitare, tout le monde est saoul... Arrive un moment où F. me dit discrètement qu'il serait de bon ton de faire un petit discours de remerciements... Je m'y colle et l'alcool m'aide à improviser en Anglais un couplet sur l'amitié Franco-vietnamienne. Nous finissons par un trăm phần trăm... Ca fatigue et l'estomac se remplit vite.
Après avoir achevé quelques uns des buveurs de la tablée nous allons nous coucher, l'estomac un peu chamboulé. Demain matin un des employés réparera notre pneu avant que nous partions pour Da Nang prendre notre train pour rentrer à Ha Noi. Les hôtesses de l'hôtel seront inquiètes et contentes de nous retrouver vivants...
Une visite 100 pour 100 !